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Le 17 juillet 1847, Flaubert et Maxime Du Camp, presque au terme de leur « voyage en Bretagne », arrivent à Rennes. Un bateleur est présent, exhibant un phoque dans un baquet. Ce phoque, c’est tout ce que Flaubert trouvera « à voir » à Rennes. Énigme intrigante que Georges Guitton a décidé d’explorer dans l’ouvrage Le phoque de Flaubert, paru en novembre 2021 aux Presses universitaires de Rennes.

Océanopolis, Brest. (Photo ©FC)

À travers cette quête quasi obsessionnelle du phoque, l’auteur nous propose une redécouverte de l’écrivain sous un angle original, puissamment révélateur d’une tension récurrente dans son œuvre : le rapport tourmenté, incontournable, charnel, de l’homme avec la bête, de l’humain avec la nature et avec sa nature. Relation des plus intimes si l’on pense au désir de « devenir phoque » de Flaubert, à la familiarité qu’il entretient avec le chameau, l’ours (emblème d’insociabilité)…. L’écrivain normand, qui aime tant nager mais reste tout au long de sa vie réfractaire à la marche, ressemble indiscutablement à son double animal, le phoque, « vieux mammifère ayant renoncé aux membres locomoteurs, […] prototype enviable de créature affalée ».

Mode des phénomènes de foire, passion insolite de cette deuxième moitié du XIXe siècle pour les phoques parlants, influences multiples d’un personnage d’Eugène Sue (Léonidas Requin dans Les Misères des enfants trouvés)… les origines et conséquences de la présence d’un phoque, ce jour de 1847, à Rennes (de deux, si l’on inclut son « plagiaire ») sont nombreuses et toujours surprenantes. On en apprend, au passage, sur l’intérêt jamais amoindri de Flaubert pour les saltimbanques, montreurs de phoques et d’ours, danseuses de corde, moutons à cinq pattes ou metteurs en scène de théâtre de rue ; ceux du boulevard du Temple à Paris, ceux de Rennes ou de Rouen, à la foire Saint-Romain… Saltimbanques et fêtes foraines, par leur évocation d’un monde ancien, pauvre, raffiné, légèrement barbare et surtout révolu dans cette France en voie de forte industrialisation, ne pouvait que séduire le pourfendeur de bourgeois – et bourgeois lui-même – qu’était Flaubert.

Lâcher de bulles devant l’opéra de Rennes. (Photo ©FC)

Georges Guitton ne va pas jusqu’à le propulser parmi les antispécistes et animalistes de notre début de XXIe siècle… mais pas très loin. Car, de fait, l’écrivain voit réellement les autres animaux – l’homme étant un animal, lui aussi – comme des amis, des semblables, et il est vrai que les pages effroyables sur l’abattoir de Quimper, criantes de vérité, si l’on ose dire (voir mon article de 2019 : https://horizonsnormands.wordpress.com/2019/10/18/le-voyage-en-bretagne-2-impressions-a-quimper-et-penmarch/) pourraient constituer le manifeste efficace des végétariens, vegans et autres partisans de nourriture non carnée. La sensibilité et l’intelligence de l’animal, la cruauté et l’aveuglement (volontaire ?) des humains y sont rudement mis au jour.

La lecture de cet essai de Georges Guitton se révèle particulièrement stimulante. On jubile à le suivre dans sa quête des « bêtes » de Flaubert, animaux exhibés, utilisés, parqués, mangés… mais « exprimant par-dessus tout l’insondable mystère de l’être » (p. 207). On approfondit sa réflexion sur la littérature, sur Flaubert, sur la nature et sur nous-mêmes. Et sur Rennes, bien entendu, quoiqu’il n’y ait rien à y voir depuis que le phoque est parti…

Georges Guitton, Le phoque de Flaubert, Presses universitaires de Rennes, collection « Essais », 2021.

Gustave Flaubert, Maxime Du Camp, Par les champs et par les grèves (éd. de L’Aube, coll. Mikros).

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