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Tombeau de François-René de Chateaubriand sur l’îlot du Grand Bé. (Saint-Malo, Ille-et-Vilaine.) (Photo ©FC)

Saint-Malo. – Tout entouré de remparts, rues étroites, resserrées ; maisons hautes et noires, on voit chez le voisin ; vie triste, violente et colorée ; caractère singulièrement énergique de tout cela. – La mer est d’une beauté inouïe. – Hôtel de France : au second étage, en dehors, est écrit : « Ici est né Chateaubriand. » – Îlot du Grand Bey ; une seule pierre et croix de granit ; le monument est composé de trois morceaux. À droite, Saint-Malo et la maison où il est né ; à gauche, des îles ; en face, la mer. Herbe rare ; plus haut, casemate démantelée qui a l’air d’une masure en ruines ; en bas, des rochers dans l’eau et le bruit des vagues qui s’y entrecroisent et s’y replient. La première fois que nous y fûmes, c’était le soir, le ciel était rose.

Ainsi commence le sommaire du chapitre de Flaubert consacré à Saint-Malo, dans Par les champs et par les grèves (éd. de l’Aube, coll. Mikros, p. 311).

Après un début de développement sur la ville elle-même (« Saint-Malo, bâti sur la mer et clos de remparts, semble, lorsqu’on arrive, une couronne de pierres posée sur les flots », etc.), la relation d’un épisode de l’histoire de la ville – la révolte des Malouins contre Henri IV, qu’ils ne voulaient pas reconnaître comme leur roi – et une critique fort sévère de la cathédrale Saint-Vincent, « laide, sèche, sans ornements », Flaubert raconte sa visite au tombeau de Chateaubriand, dont l’illustre écrivain est pour l’heure, absent : le voyage en Bretagne de Flaubert et son ami Maxime Du Camp se déroule en 1847, quelques mois avant le décès de Chateaubriand survenu en juillet 1848. C’est donc devant une étrange sépulture vide que se recueillent les deux voyageurs. En dépit de la violente ambivalence que Flaubert marque à l’égard du romantisme, il est un authentique admirateur de Chateaubriand et cède, pour l’occasion, à son penchant lyrique…

Coup de vent sur le Grand Bé (également orthographié Grand Bey). (Photo ©FC)

En face des remparts, à cent pas de la ville, l’îlot du Grand-Bey se lève au milieu des flots. Là se trouve la tombe de Chateaubriand ; ce point blanc taillé dans le rocher est la place qu’il a destinée à son cadavre.
[…]
L’île est déserte ; une herbe rare y pousse où se mêlent de petites touffes de fleurs violettes et de grandes orties. Il y a sur le sommet une casemate délabrée avec une cour dont les vieux murs s’écroulent. En dessous de ce débris, à mi-côte, on a coupé à même la pente un espace de quelque dix pieds carrés au milieu duquel s’élève une dalle de granit surmontée d’une croix latine. Le tombeau est fait de trois morceaux, un pour le socle, un pour la dalle, un pour la croix.
Il dormira là-dessous, la tête tournée vers la mer ; dans ce sépulcre bâti sur un écueil, son immortalité sera comme fut sa vie, déserte des autres et tout entourée d’orages. Les vagues avec les siècles murmureront longtemps autour de ce grand souvenir ; dans les tempêtes elles bondiront jusqu’à ses pieds, ou les matins d’été, quand les voiles blanches se déploient et que l’hirondelle arrive d’au-delà des mers, longues et douces, elles lui apporteront la volupté mélancolique des horizons et la caresse des larges brises. Et les jours ainsi s’écoulant, pendant que les flots de la grève natale iront se balançant toujours entre son berceau et son tombeau, le cœur de René devenu froid, lentement, s’éparpillera dans le néant, au rythme sans fin de cette musique éternelle.

Chateaubriand mourut à Paris le 4 juillet 1848. Il n’eut donc pas besoin des deux inhumations qu’il évoque dans l’avant-propos des Mémoires d’outre-tombe : « Si je décède hors de France, je souhaite que mon corps ne soit rapporté dans ma patrie qu’après cinquante ans révolus d’une première inhumation. […] Un cadavre courant la poste me fait horreur ; des os blanchis et légers se transportent facilement […]. » Il avait obtenu en 1931, de la ville de Saint-Malo, ce qu’il désirait pour son séjour d’outre-tombe : « une concession de quelques pieds de terre, pour mon tombeau, sur le Grand-Bé. »

L’îlot du Grand Bé (au premier plan). (Photo ©FC)

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