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Anotole Le Braz, Côtes-d'Armor, Charles Le Goffic, Lannion, Perros-Guirec, Trégastel
Perros-Guirec, Trégastel, Lannion et leur presqu‘île sont des localités très connues, non seulement des Bretons mais aussi de nombreux touristes qui viennent apprécier les charmes de cette côte granitique de rose revêtue. Assez escarpée, elle offre aux visiteurs de superbes vues sur la Manche et sur les nombreux rochers qui participent à son indéniable caractère. À peine moins célèbres, peut-être, hors de la région : deux écrivains, Anatole Le Braz et Charles Le Goffic. Nous avons croisé des témoins de leur passage et nous sommes laissés emporter (un peu seulement) par le vent tempétueux des plages de sable aux reflets d’or…



Charles Le Goffic (1863-1932) est né et mort à Lannion. Il est l’auteur de plusieurs romans et de recueils de récits sur la Bretagne et les pays celtiques (L’âme bretonne), fit partie, dès 1901, de la première association de préservation du site de Ploumanach. Il fut élu membre de l’Académie française en 1931.
Il acheta la ferme de Run-Rouz à Trégastel (aujourd’hui détruite). Son roman le plus connu est Le crucifié de Kéraliès, que j’ai lu avec intérêt, bien que l’envergure et le souffle de Le Goffic ne soient pas tout à fait du même niveau que ceux d’Anatole Le Braz, d’après moi.
Ce roman est inspiré d’un fait divers : l’histoire du « crucifié d’Hengoat ». En 1882, un jeune paysan est retrouvé crucifié aux brancards d’une charrette après avoir été étranglé dans son sommeil ; affaire qui passionnera les habitants de la région. Le roman, dans un style réaliste, explore la psychologie d’êtres rongés par de tristes passions ; jalousie, superstition, alcoolisme… Les puissances du mal n’ont que peu de travail à accomplir pour s’immiscer dans les désirs profonds des personnages et les conduire au désastre. Car Coupaïa, épouse de Salaün, un ivrogne qui passe son temps à boire et à dormir, se consume de haine pour son beau-frère, le noble et fier Thomassin…
Dans cette âme sombre et desséchée, il n’y avait plus de vivant que la haine, une haine âpre comme elle, qu’elle nourrissait et dont elle se repaissait et qui ne s’arracherait d’elle qu’avec le souffle. À l’époque où elle épousa Salaün, elle ne connaissait pas Thomassin, qui naviguait sur les flottes de l’État. Dès qu’elle le vit, elle en fut jalouse, pour sa belle mine, sa tournure, cette gaillardise de gestes et de paroles qu’il avait héritée de son père, un Normand de pure race, et à mesure qu’elle le comprenait plus différent de son mari, qu’elle lui découvrait plus de sens et de volonté, sa jalousie s’exaspérait. Quand il fallut recourir à lui une première fois, ce fut un déchirement. L’idée qu’elle deviendrait son obligée lui paraissait insupportable ; elle souhaitait qu’il leur refusât ses services et, comme il leur vint en aide aussitôt, sans un reproche, sans même demander d’explication, elle sentit avec tristesse qu’elle l’en détestait davantage.
Et la redoutable Coupaïa, armée d’amulettes et de charmes plus ou moins catholiques, n’aura de cesse de persécuter le gracieux Louis Thomassin, jusqu’à la catastrophe finale.
Toute l’histoire se déroule dans la région de Perros-Guirec et de l’île Grande, dans un coin de Bretagne qui n’a pas encore connu son essor touristique et économique. La sauvagerie des landes et de la terre pauvre et rude est mise en parallèle avec celle du personnage de Coupaïa, figure effrayante de sorcière nourrie par le ressentiment, qui a beau jeu d’accuser de sorcellerie la vieille Môn, bonne fée de Louis Thomassin, messagère de son amour auprès de la jolie Francésa…

Quant à Anatole Le Braz, né à Saint-Servais (Côtes-d’Armor), entre Guingamp et Callac, il a parfois mis en scène cette région du Trégor dans ses nouvelles. Le plus célèbre des écrivains bretons, qui a collecté et mis en lumière la vie, la langue et les croyances de Bretagne, transmettant pour longtemps les grandes figures de l’imaginaire régional – notamment dans La Légende de la Mort – est l’auteur, entre autres ouvrages, des Contes du vent et de la nuit, où l’on peut lire une histoire intitulée Le cheval du diable.
Un conteur du pays, nommé Milliau Goz (« de son vrai nom Milliau Arzur »), raconte les faits suivants :
« Tous les soirs, la semaine finie, on se réunissait, entre jeunes gens, tantôt dans une ferme, tantôt dans l’autre », au manoir de Kerdu, de Min-Toull ou de Kertanguy (près de Ploumilliau). Les jeunes gens ont l’habitude de passer la soirée du samedi à jouer aux cartes en buvant du cidre. Par une nuit particulièrement sombre – en novembre, nommé « le mois noir » dans ce pays breton – malgré les recommandations de sa mère, le narrateur, alors jeune homme, décide de rejoindre tout de même ses compagnons de jeu au manoir de Min-Toull. L’orage et la pluie ne les épargnent pas, lui et sa sœur, mais ils parviennent à destination et s’attardent à jouer et boire avec leurs amis. Tout à coup, la chandelle s’éteint. Le groupe d’amis interrompt ses jeux et se met en route, mais a bien du mal à s’orienter…
Près d’une mare dont la présence insolite surprend les compagnons d’infortune, apparaît dans un éclair un mystérieux cheval surgi de nulle part. Bizarrement, les quatre amis peuvent tenir sur son dos, qui semble s’allonger au fur et à mesure qu’ils grimpent… Au terme d’une cavalcade fantastique, dans un état second, le jeune homme vient à mimer le signe de croix qu’il a vu sa mère effectuer alors qu’elle les regardait quitter la maison, lui et sa sœur. Comme par magie, le cheval disparaît et les voyageurs imprudents se retrouvent chez eux, avec une « fièvre de cheval ». La mère du garçon lui raconte avoir entendu un bruit de galop de cheval – le cheval du diable – et récité un De Profundis, à l’heure où il avait fait lui-même un signe de croix.

Trégastel, voisine indépendante de Perros-Guirec (tandis que le village de Ploumanach est rattaché à cette dernière), forme la partie centrale de l’avancée dans la mer de la presqu‘île de Perros-Guirec, entre celle-ci à l’est, Pleumeur-Bodou et Trébeurden à l’ouest. Elle possède plus de plages facilement accessibles que sa voisine Perros, offrant ainsi un paysage moins accidenté et des lieux de baignade plus variés.

Plage de Trégastel, proche de l’entrée de l’île Renote. (©AD-C)




La légende voudrait que la construction de l’église de la Clarté ait été financée par un seigneur Barach de Louannec, qui, pris dans une épaisse brume, ne parvenait pas à rejoindre le rivage et ne dut son salut qu’à une lumière provenant de ce lieu, qu’il considéra comme sacré et où il demanda l’édification d’une chapelle. Mais le prospectus à disposition du public, dans l’église, précise que Roland IV de Coetmen, mort en croisade, serait en réalité à l’origine de cette construction.
Autre histoire, plus récente (légendaire ou non) : à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Vierge serait intervenue pour protéger le site, en étendant un épais voile de brume qui empêcha l’aviation alliée de bombarder une station radar toute proche, installée par l’occupant nazi, ce qui n’aurait pu se faire sans endommager gravement le bourg et l’église elle-même.

À une douzaine de kilomètres de Perros-Guirec, Lannion offre au visiteur son superbe centre-ville historique (nombreux commerces et restaurants, grande et belle librairie Gwalarn, rue des Chapeliers…). Et un quartier dont l’originalité ne peut que marquer l’esprit : Brélèvenez. Un hameau posé sur une petite éminence, au faîte de laquelle fut construite une église, « La Trinité » (XIIe-XVe s.). Pour l’atteindre, un escalier en pierre, le long duquel sont rangées, sur la pente, de belles petites maisons de schiste et de granit. Les lecteurs des albums « Martine » (plus si jeunes ?… et dont je fais partie !) reconnaîtront peut-être la couverture de Martine fait de la bicyclette (1971), où la fillette, l’air peu à son aise sur un vélo devenu fou, effraie les chats du quartier au bas du fameux escalier… (Il semble que l’album s’intitule désormais Martine fait du vélo et ait troqué sa couverture originale, aux deux sens du terme, contre un fond bleuté d’une belle insipidité.)
De grandes boîtes à biscuits, vendues à Lannion, bien sûr, sont également ornées de la même vue, si caractéristique.





Retour sur la côte, à Trégastel. Elle s’anime sous l’effet d’un gros coup de vent. Un au revoir tonifiant et magnifique, en dépit des projections de sable et des vagues un peu trop entreprenantes, dont il est prudent de s’abriter…

